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- HISTOIRE DU XXe SIECLE-
 
 


ROMAGNE (86) : Mon village sous l'occupation 3/3
     

Je faisais partie de l'équipe prévue pour ce travail. Mais, comme nous ne sommes partis qu'à 8 au lieu d'une douzaine, le chef de groupe a du modifier son dispositif au dernier moment et je me retrouvais chargé de la protection, un camarade qui n'avait pas été prévu pour cette tâche, prenant ma place pour l'installation des charges de plastic.

Sabotage d'une gare

Le dispositif était maintenant le suivant: 4 maquisards sont chargés de poser les charges et les 4 autres sont disposés 2 à chaque extrémité allongés à une cinquantaine de mètres de leurs camarades de chaque côté du ballast. Le travail des saboteurs consistait à chercher la jonction des rails et à fixer les charges par simple pression sur le côté du rail à hauteur de la deuxième traverse. Avec une longueur d'installation minimum on pouvait ainsi faire sauter 4 rails et on faisait la même chose sur l'autre voie. Il fallait ensuite, avec du chatterton, relier tous les cordons détonants sortant des charges au cordon que le chef de groupe avait déroulé en bordure de voie et auquel était fixé une soixantaine de centimètres de mèche lente. Il restait au chef de groupe à allumer la mèche avec une cigarette et nous avions une minute pour nous éloigner (en fait il existait un système d'allumage que l'on sertissait d'un coup de dents sur la mèche et qu'il suffisait de frotter sur un frottoir genre boite d'allumettes, mais comme tout le monde fumait, la cigarette était plus pratique). Une telle installation qui permettait de faire sauter 32 rails s'étirait surplus de 100 mètres.

Lorsque nous sommes arrivés en vue de la voie nous nous sommes arrêtés derrière une haie afin de remettre aux seuls saboteurs toutes les charges qui avaient été réparties entre nous tous pour le transport. C'est ensuite, en silence, l'approche de la voie ferrée. Les allemands pour nous repérer plus facilement avaient fait abattre tous les arbres et les haies sur une largeur d'une centaine de mètres de chaque côté de la voie. Comme prévu, je me retrouvais donc à une extrémité du dispositif, couché à côté du ballast, seul dans la nuit, la mitraillette au poing. Je sentais qu'André Grémillon était couché de l'autre côté de la voie, à quelques mètres de moi, et cela me rassurait car André qui avait eu 2 citations pendant la campagne 39/40 était un dur. A 4 heures du matin, pendant le passage qui semblait interminable du train, j'avais l'impression que dans la locomotive et les wagons des yeux me regardaient et je me tassais un peu plus. J'avais une boule au creux de l'estomac et la nuit me semblait peuplée d'ennemis, et cette installation qui n'en finissait pas, qu'est ce qu'ils fichaient ?

Enfin ca y était, le signal du repli était donné et nous arrivions juste sous le couvert lorsque 4 colonnes de feu s'élevaient dans le ciel et que retentissait une formidable explosion. Mission remplie et nous allongeons le pas pour mettre le plus d'espace possible entre la voie et nous.

Nous étions en été et le jour n'allait pas tarder a arriver. Où allions nous pouvoir nous cacher pour la journée? A Champniers, le village le plus proche , nous ne connaissions personne. Notre chef de groupe, Alexandre Charpentier, plus connu sous le sobriquet de "Toto" avait eu l'occasion de faire des photos pour M. Touron, le maire. Bien que beaucoup furent d'authentiques résistants, les maires désignés par Pétain n'avaient pas bonne presse et une discussion s'engagea entre nous. M. Touron, ancien commandant, exploitait une propriété et nous avons pensé que, quelques pouvaient être ses idées, que nous ne connaissions pas, un ancien officier ne pouvait nous dénoncer. Nous arrivons donc dans sa cour avec le jour et Toto alla aussitôt frapper à la porte. Après quelques minutes qui nous parurent une éternité, celle-ci s'ouvre enfin et en voyant nos mines patibulaires dues à la fatigue et à notre barbe de 24 heures, M. Touron a un mouvement de recul. Il a évidemment entendu les explosions de la nuit et Toto le rassure aussitôt. Nous lui demandons l'hospitalité dans sa grange pour la journée ce qu'il nous accorde volontiers. Nous nous écroulons dans le foin sur le fenil pendant que Toto demande à notre hôte d'aller à Romagne prévenir mon beau-père Roger Raby afin qu'il aille à Maumulon aviser le lieutenant Bonnet, commandant du maquis, de l'endroit où nous étions.

A midi on vint nous réveiller et nos papilles furent aus-sitôt mise en éveil par une odeur dont nous avions perdu l'habitude. Notre hôtesse nous avait préparé un civet de lapin mémorable qui nous parvenait par la trappe où l'on descendait habituellement le foin pour les animaux (précaution bien compréhensible pour éviter qu'un domestique nous découvre). Ce civet est resté dans mon souvenir comme le meilleur que j'ai jamais mangé.

Dès la nuit tombée, après une collation, nous reprenions sans encombre la direction de Charroux.

Par la suite, nous partions en camion 2 jours de suite pour limiter les trajets et nous couchions dans des fermes de la commune de Romagne. C'est ainsi qu'un soir, après avoir fait sauter la prise d'eau de la gare de Couhé-Vérac, nous couchions dans une ferme du village de la Rochemairant car nous devions retourner saboter la voie le lendemain soir. Le camion, caché entre deux grandes haies derrière la ferme, nous nous installons dans la grange. Dans l'après midi nous entendons du remue ménage dans la cour. Aussitôt nous regardons par les interstices de la porte de grange et quelle n'est pas notre surprise de voir arriver la machine à battre. Le fermier, trop content de nous héberger, n'avait pas voulu nous prévenir et nous voila donc découverts.

Les gens ont entendu les explosions de la nuit et sont tout excités de voir que ce sont des romagnons qui en sont les auteurs. Ils veulent tous trinquer avec nous et il faut que Toto monte la garde à la porte pour que nous puissions être en état de repartir en sabotage le soir ! En partant nous avons même trouvé des batteurs qui revenaient de chez eux avec des paniers de bouteilles à notre intention et je revois leur désappointement devant le refus de Toto de faire arrêter le camion.

Exécution d'un indicateur à la solde des SS - Autre moment resté gravé dans ma mémoire : le 1er août 1944. Comme nous partions pour le sabotage évoqué ci-dessus par Tarrade, une immense clameur s'éleva dans le bois à l'arrivée de la traction avant du maquis qui venait de Civray. A bord 5 maquisards dont le capitaine Gaucher ramenant le vieil Edouard Bernardeau, un indicateur à la solde du S.S. Marcel Pierron dit "Judex" et des allemands. En fait c'est Judex qui aurait dû être arrêté, mais ce soir là il était allé à une séance de cinéma allemand. Bernardeau a été enlevé en plein Civray malgré les 70 SS qui y sont cantonnés. Le capitaine Bonnet, prévenu par le commissaire Lambert, enverra le 18 août, une autre équipe de maquisards, arrêter Judex alors qu'il reconstituait l'enlèvement de son complice. Quant à Bernardeau, véritable loque, il ne fit aucune difficulté pour avouer ses crimes et notamment sa participation à l'arrestation de Ravarit, un des premiers résistants de Civray.

Ayant pris connaissance du compte rendu des aveux, le colonel Blondel commandant l'ensemble des maquis D ordonna de le fusiller. Le 9 août à 21heures 30 le maquis Bayard est rassemblé, en armes, dans un champ en bordure du bois où nous sommes cantonnés. Les maquisards forment 3 côtés d'un carré, le bois formant le 4ème. Une fosse a été creusée en bordure du bois et le peloton d'exécution, composé de résistants civraisiens et des chefs de groupe prend place au centre du carré, face au bois. Derrière eux, leurs carabines chargées ont été mises en tas. Le capitaine Bonnet en prend une au hasard, remplace la cartouche par une cartouche à blanc et remet l'arme dans le tas. Les maquisards du peloton se retournent alors, viennent prendre chacun une carabine et regagnent leur place. On amena alors le prisonnier, les mains attachées derrière le dos et, lorsqu'il vit la fosse, il compris ce qui l'attendait avant même que le capitaine Bonnet lui ai lu sa condamnation. Le capitaine commanda le feu et c'est une véritable loque en larmes qui s'écroula. A cet ultime instant le traître a-t-il pensé à ses victimes qui croupissaient, attendant eux aussi la mort, dans des camps de concentration? Ravarit devait d'ailleurs mourir assassiné en Allemagne le 23 avril 1945. Le capitaine Bonnet nous demanda ensuite de ne parler à personne de ce qui venait de se passer afin d'éviter des représailles éventuelles sur nos familles.

Cette exécution en territoire occupé, à la tombée de la nuit, en bordure d'un bois, fut particulièrement impressionnante. Beaucoup d'entre nous durent faire des cauchemars cette nuit là. Son maître "Judex" sera fusillé à son tour à Civray le 25 août après avoir été condamné à mort par le tribunal militaire siégeant au P.C du colonel Blondel. Contrairement à son vieux complice, il mourra crânement au coeur de la ville qu'il terrorisait encore 3 semaines plus tôt. A Maumullon, le "Groupe photo" montait la garde à l'endroit où le bois était le plus proche de la route, à une centaine de mètres, et nous réceptionnions les indicateurs ou les gendarmes de Civray qui venaient, en bicyclette, apporter des renseignements au capitaine Bonnet.

Tout cela se passait dans une ambiance particulière et on n'avait pas l'impression qu'il pouvait nous arriver quelque chose, ce qui explique certainement les imprudences fatales commises par certains maquis. A 18 ans il était extraordinaire de combattre enfin l'ennemi après des années d'attente et ce, dans un environnement connu, au milieu d'amis et avec la complicité de la population. Ainsi, le lendemain de l'accrochage des Bourbes, sur la route de Civray à Saint Saviol, où nous avions arrêté un commandant allemand, j'étais allongé dans le fossé en bord de route à côté de mon fusil mitrailleur. Nous avions passé la nuit couchés dans le fossé et, après un casse-croûte à midi, la chaleur aidant, je somnolais. C'est alors que je fus réveillé par des rires et quelle ne fut pas ma surprise de voir arriver des jeunes filles qui venaient par un chemin creux avec des paniers remplis de bouteilles et de gâteaux à notre intention ! Tout cela avait quelque chose d'irréel... A 3 kilomètres de là, 3 trains allemands, bloqués en gare de Saint-Saviol par nos sabotages de la voie ferrées, achevaient de se consumer après un violent mitraillage par des avions anglais alertés par nos soins.

Après la bataille de Civray et le combat du 28 août nous sortîmes des bois. Presque tous les jours, un détachement du maquis se rendait, à l'invitation d'une commune du civraisien, faire une prise d'arme à leur monument aux morts. Les anciens nous avaient appris à manoeuvrer et nous y mettions tout notre coeur. C'est dans ces occasions que j'ai entendu les deux Marseillaises les plus émouvantes qu'il m'ait été donné d'écouter. L'une était jouée au violon et l'autre à l'accordéon, alors que, armée en civil, nous présentions les armes devant le monument et la population assemblée.

Fin septembre, j'appris par mon beau-père qu'une unité régulière était en voie de constitution dans la région de Limoges. Je m'y rendis avec Pierre Lucas et nous entrainâmes 6 camarades avec nous au 30ème Chasseurs. Le bataillon fut rattaché à la 5ème division de la 3ème Armée Américaine (Armée Patton) avec laquelle nous avons entre autre, participé à la libération de Metz. Mais ceci est une autre histoire...

Yvon Pautrot.
Romagne, octobre 1988.

 

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